Après avoir parcouru l’« Annuaire québécois des statistiques
du travail », publié par l’Institut de la statistique du
Québec (www.stat.gouv.qc.ca), M. Picher en tire des conclusions
qui se veulent éclairantes ( ! ).
Prenons d’abord son utilisation des termes « privilégié » et
« gras dur ». Si vous êtes un homme, diplômé universitaire, avec
plus d’une vingtaine d’années d’expérience et bien sûr
syndiqué, vous êtes probablement un privilégié du marché du
travail. Or, le terme privilège signifie « avantage accordé en
dehors des règles normales ». M. Picher s’emploie cependant,
plus loin dans son article, à démontrer qu’il est avantageux, en
général, c’est-à-dire selon les règles normales, d’avoir complété
des études pour s’assurer une bonne rémunération. J’en ai
plus que marre d’être traité de privilégié parce que j’ai complété
des études universitaires, ce que d’ailleurs, mes parents et la
société m’encourageaient fortement à faire. Pour ce qui est des
« gras durs » de la fonction publique dont je suis (enseignant
dans un Cégep), je reviendrai un peu plus loin sur leur situation
si enviable. Bon nombre (la majorité ?) des fonctionnaires
provinciaux ont un diplôme universitaire ou collégial, et donc
selon la logique du marché du travail présentée par le journaliste,
ils sont beaucoup mieux rémunérés que « la petite
serveuse de restaurant » (il y a aussi de grandes serveuses et des
serveurs de toutes les tailles !). On pourrait comparer le salaire
de « la petite serveuse de restaurant » à celui d’un médecin par
exemple, l’abysse n’en serait que plus profond. Les médecins
devraient alors être qualifiés de « gras » quoi exactement ?
Cette façon de présenter les choses relève de la facilité et de la
démagogie. M. Picher voulait sans doute, en fait, souligner que
le salaire minimum est bien trop bas.
Par ailleurs, l’auteur nous informe que le salaire horaire
moyen des diplômés universitaires a augmenté de 18,7 %
depuis 1997. Je suis un enseignant avec presque 30 années
d’ancienneté, donc en haut de mon échelle salariale depuis
bien des années. Mon salaire a augmenté de 14,7 % depuis la
fin de l’année 1993, ce qui équivaut à 1,15 % d’augmentation
annuelle durant cette période, soit un glissement important par
rapport au coût de la vie. Pas mal gras dur ! Bien sûr, j’ai des
collègues plus jeunes qui progressent encore dans l’échelle et
dont le salaire augmente un peu plus vite. Mais ces augmentations
sont censées reconnaître l’expérience qu’ils sont en train
d’acquérir et non protéger le pouvoir d’achat qu’ils avaient
lorsqu’ils sont entrés dans la profession.
Finalement, M.Picher atteint des sommets de mauvaise foi
(de négligence ? d’incompétence ? d’anti-syndicalisme ?) vers
la fin de son article. Après avoir rappelé que « les syndicats du
secteur public affirment que leurs membres sont moins bien
traités que les travailleurs du secteur privé » (il s’agit sans doute
des travailleurs du gouvernement provincial actuellement en
négociation), il affirme, sans gêne, que « les chiffres de l’ISQ
montrent, noir sur blanc, que l’argumentaire syndical ne tient
pas la route ». Ainsi, « en 2004, la rémunération horaire
moyenne se situait à 22,97 $ dans le secteur public, comparativement
à seulement 16,43 $ dans le secteur privé », ce à quoi
l’auteur ajoute que « ce chiffre tient compte de toutes les entreprises
privées, syndiquées et non syndiquées ». Comment peut-on
sérieusement comparer ces deux groupes et parler d’un
« retard de 28,5 % » pour le privé alors qu’il s’agit de groupes
dont la composition est fort différente ? M. Picher a-t-il comparé
le niveau d’éducation moyen des travailleurs de la fonction
publique avec ceux du secteur privé afin de relativiser ce genre
de comparaison ? Il aurait pu consulter le rapport intitulé
« Rémunération des salariés, État et évolution comparés 2004 »
également disponible sur le site de l’ISQ pour connaître les
résultats d’une étude sérieuse où on compare la rémunération
d’emplois comparables dans le secteur public et le secteur
privé. Il y aurait appris qu’en 2004 « le salaire des employés de
l’administration québécoise présente un retard de 12,1 % vis-à-vis de celui des autres salariés québécois pour l’ensemble des
emplois repères », que « les employés de l’administration québécoise
ont un retard salarial de 12,3 % face à ceux du secteur
privé » et que « dans l’ensemble des emplois repères, le salaire des employés de l’administration québécoise est en retard de
16,3 % sur celui du secteur privé syndiqué ». La situation ne s’est pas améliorée depuis l’année dernière, au contraire, les salaires ayant été gelés dans la fonction publique québécoise. Voilà pour les gras durs ! Bien sûr, ce rapport contient beaucoup d’autres données qui apportent toutes sortes de nuances, pour ceux que les nuances intéressent.
- Christian Contant
- Montréal